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Après le carnage lors d’un match de foot en Guinée, sourd courroux dans la ville de N’Zérékoré

Les commerçants ont rouvert leurs échoppes au grand marché de N’Zérékoré, mais certains gardent un des deux battants clos pour fermer plus vite si la colère venait à éclater après l’hécatombe de supporteurs survenue dans le stade de foot, rapporte un correspondant de l’Agence France-Presse (AFP). La deuxième ville de Guinée, à deux jours de route de la capitale, Conakry, a été le théâtre, dimanche 1er décembre, d’une des pires catastrophes au monde dans un stade ces dernières années.
Mercredi, trois jours après le drame qui a fait au moins 56 morts, les drapeaux étaient en berne et les cours tardaient à reprendre dans les écoles. Un courroux assourdi par la réticence à s’exprimer persiste, contre l’incurie de l’organisation et contre le discours du gouvernement dominé par les militaires. « Tout ce qu’on voit dans les films de guerre, c’est ça [qu’on] a vécu au stade du 3-Avril. C’était plus que ça même », dit une rescapée, la journaliste Maïkan Fofana.
Toujours choquée, elle raconte qu’elle était l’une des premières à se ruer vers la sortie quand les pierres ont commencé à voler dans le stade archicomble, à la suite de contestations de décisions arbitrales, et que les forces de sécurité ont commencé à tirer des lacrymogènes.
Des milliers de personnes, beaucoup d’enfants et de jeunes filles, suffoquant sous l’effet des gaz et de la panique, se sont pressées vers le portail, obstrué par des véhicules de police et de gendarmerie, selon de nombreux témoignages. D’autres ont escaladé les murs. « C’est Dieu seul qui m’a sauvée, je voyais les gens en train de marcher sur mes épaules, sur ma tête », rapporte Maïkan Fofana.
« Chacun [a voulu] chercher à sortir au même moment, dit le Dr Kaba Keïta, directeur de l’hôpital public de N’Zérékoré, les plus forts ont [eu] tendance à écraser les plus petits. » Ses services ont observé « des compressions de poitrine, [des] traumatismes de poitrine et [des] asphyxies ».
Le gouvernement dit « qu’il y a eu 56 morts. Nous, on ne peut pas aller au-delà de ça. Mais [si] tu me demandes, je vais dire que c’est plus que ça », rapporte Maïkan Fofana. Beaucoup se taisent par crainte de représailles de l’Etat. Un haut responsable en première ligne des secours admet, bien que tenu à la réserve, que le nombre de personnes tuées est bien plus élevé que la version officielle. Différentes organisations disent la même chose, parlant pour l’une de 135 morts et 50 disparus, de 300 morts pour une autre.
Les proches ont récupéré les dépouilles et les ont enterrées sans tarder dans les différents cimetières de la ville, contribuant à l’incertitude de tout comptage, habituelle en Guinée dans de telles circonstances. Beaucoup d’habitants de N’Zérékoré acceptent mal ce qu’ils voient comme une tentative de minimiser l’ampleur d’événements dont la junte pourrait avoir à répondre.
La vétusté du stade, l’absence de toute organisation et de service de secours malgré la présence de deux ministres, l’emploi de lacrymogènes dans un milieu clos sont mis en cause. Par ailleurs, la justification même de la rencontre sportive est reprochée à ses instigateurs. Le match faisait partie de ces rassemblements populaires qui se sont succédé ces dernières semaines et dont personne ne doute qu’ils servent à promouvoir une candidature du général Mamadi Doumbouya, le chef de la junte, à une future élection présidentielle.
L’opposition rappelle à l’envi que la junte a interdit toute manifestation en 2022, parmi d’innombrables mesures de répression, mais aussi que, peu après la prise du pouvoir en 2021, elle avait interdit les manifestations de soutien en sa faveur.
« Ils mentent sur les causes de cet événement tragique, ils mentent sur le bilan, ils mentent même sur la nature du tournoi », s’est indigné, mardi, sur Facebook, Sékou Koundouno, figure du Front national pour la défense de la Constitution, un mouvement de la société civile très critique de la junte, en exil. Sans ce désastre, ajoute-t-il, « ils [se seraient] sûrement enorgueill[is] d’avoir mobilisé des milliers de personnes, comme pour dire que les Guinéens dans leur majorité sont favorables à la candidature du putschiste et dictateur de Kankan », ville d’origine du général Doumbouya.
Dimanche, des habitants en colère ont incendié un commissariat. Des expressions limitées de mécontentement ont été rapportées depuis. Des véhicules blindés roulent régulièrement dans les rues de N’Zérékoré. Les autorités multiplient les appels au calme.
Le ministre de la justice, Yaya Kaïraba Kaba, a annoncé, mardi, sur Facebook avoir ordonné l’ouverture d’enquêtes « pour établir les responsabilités dans cette tragédie ». Mais il a aussi prévenu que quiconque diffuserait des « informations non vérifiées ou malveillantes susceptibles de troubler l’ordre public » serait arrêté. « Prenez toujours en compte le contexte de fragilité du pays. Un seul mot, mal placé, peut mettre le feu aux poudres », a dit le premier ministre, Amadou Oury Bah, aux représentants d’un syndicat de presse.
Le Monde avec AFP (avec AFP)
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